Giorgio Agamben : discours au Sénat le 7 octobre 2021

Mathieu Slama
4 min readOct 25, 2021

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Traduit de : https://www.quodlibet.it/giorgio-agamben-intervento-al-senato-del-7-ottobre-2021

“Je me concentrerai sur deux points seulement, que je voudrais porter à l’attention des parlementaires qui devront voter sur la conversion du décret en loi.
La première est la contradiction évidente — je souligne évidente — du décret en question. Vous savez que le gouvernement avec un décret-loi spécial, appelé “bouclier pénal”, n° 44 de 2021, maintenant converti en loi, s’est exonéré de toute responsabilité pour les dommages causés par les vaccins. La gravité de ce préjudice se traduit par le fait que l’article 3 du décret mentionne explicitement les articles 589 et 590 du code pénal, qui font référence à l’homicide et aux blessures coupables.
Comme l’ont noté des juristes faisant autorité, l’État ne se sent pas capable d’assumer la responsabilité d’un vaccin qui n’a pas terminé la phase expérimentale et pourtant, dans le même temps, il tente de forcer les citoyens à se faire vacciner par tous les moyens, en les excluant sinon de la vie sociale et, maintenant, avec le nouveau décret que vous êtes appelés à voter, en les privant même de la possibilité de travailler.
Est-il possible d’imaginer une situation plus anormale sur le plan juridique et moral ? Comment l’État peut-il accuser d’irresponsabilité ceux qui choisissent de ne pas se faire vacciner, alors que c’est ce même État qui, le premier, décline formellement toute responsabilité quant aux éventuelles conséquences graves — souvenez-vous de la mention des art.589 et 590 du Code pénal du vaccin ?
Je souhaiterais que les parlementaires réfléchissent à cette contradiction qui, à mon avis, est une véritable monstruosité juridique.

Le deuxième point sur lequel je voudrais attirer votre attention ne concerne pas le problème médical du vaccin, mais le problème politique du passeport vert, qu’il ne faut pas confondre avec celui-ci (nous avons pris toutes sortes de vaccins par le passé, sans être obligés de présenter un certificat pour chacun de nos déplacements). Des scientifiques et des médecins ont déclaré que le passeport vert n’a aucune signification médicale en soi, mais qu’il sert à forcer les gens à se faire vacciner. Je pense cependant que l’on peut et doit également dire le contraire, à savoir que le vaccin est en fait un moyen de forcer les gens à avoir un Greenpass, c’est-à-dire un dispositif qui permet de surveiller et de suivre leurs mouvements à un degré sans précédent.
Les politologues savent depuis longtemps que nos sociétés sont passées de ce que l’on appelait autrefois des “sociétés disciplinaires” à des “sociétés de contrôle”, fondées sur un contrôle numérique quasi illimité des comportements individuels, qui deviennent ainsi quantifiables dans un algorithme. Nous nous habituons maintenant à ces dispositifs de contrôle — mais jusqu’où sommes-nous prêts à accepter ce contrôle ? Est-il possible que les citoyens d’une société prétendument démocratique soient dans une situation pire que celle des citoyens de l’Union soviétique de Staline ? Vous savez que les citoyens soviétiques devaient montrer une propiska pour voyager d’un pays à l’autre, mais nous devons également montrer une propiska pour aller au cinéma ou au restaurant — et maintenant, encore plus sérieusement, pour aller travailler. Et comment peut-on accepter que, pour la première fois dans l’histoire de l’Italie, après les lois fascistes de 1938 sur les citoyens non aryens, on crée des citoyens de seconde zone, soumis à des restrictions qui, d’un point de vue strictement légal — je souligne légal — ne sont en rien inférieures à celles prévues par ces lois sinistres ?

Tout porte à croire que ces décrets-lois, qui se succèdent comme s’ils émanaient d’une seule et même personne, s’inscrivent dans un processus de transformation des institutions et des paradigmes de gouvernement d’autant plus insidieux que, comme pour le fascisme, il s’effectue sans altérer le texte de la constitution. Le modèle qui est ainsi progressivement érodé et annulé est celui des démocraties parlementaires, avec leurs droits et garanties constitutionnels, et est remplacé par un paradigme de gouvernement dans lequel, au nom de la biosécurité et du contrôle, les libertés individuelles sont destinées à subir des limitations croissantes.
La focalisation exclusive sur les contagions et la santé nous empêche de percevoir la Grande Transformation qui est en train de se produire dans la sphère politique et de réaliser que, comme les gouvernements eux-mêmes ne cessent de le rappeler, la sécurité et l’urgence ne sont pas des phénomènes transitoires, mais constituent la nouvelle forme de gouvernementalité.
Dans cette optique, il est plus urgent que jamais que les parlementaires examinent très attentivement la transformation en cours, qui, à terme, est destinée à vider le Parlement de ses pouvoirs, le réduisant, comme c’est le cas actuellement, à approuver, au nom de la biosécurité, des décrets émanant d’organisations et d’individus qui n’ont pas grand-chose à voir avec le Parlement.”

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Mathieu Slama

Consultant et analyste politique. Collabore à plusieurs médias (Figaro, Huff Post, Marianne…). Intervient au CELSA.